Passion Japon

Passion Japon : Clémentine et le recyclage de tissus japonais

Tout d’abord, merci beaucoup Clémentine d’avoir accepté de répondre à mes questions concernant cette quête du recyclage de tissus japonais. Je te connais depuis peu ce n’est que récemment que j’ai découvert ton Instagram qui est une vraie révélation. Sans compter que cela fait toujours plaisir de rencontrer une autre alsacienne implantée au Japon ! Tes créations sont de toute beauté, je suis ravie de pouvoir en apprendre davantage sur ce qui t’anime et comment cette passion a vu le jour.

De l’Alsace au Japon

Pourrais-tu d’abord te présenter, (nom, études, années au Japon, région d’origine).
Alors, je m’appelle Clémentine Sandner, mais ici on m’appelle souvent Mikan, qui signifie mandarine en japonais. Je viens d’Alsace. Après avoir vécu à Tokyo, Osaka et Kyoto, j’habite maintenant à Miyazaki, dans la région de Kyushu. J’ai étudié le design de mode à Esmod Lyon, où j’ai d’abord appris à concevoir des vêtements. Puis plus tard je me suis spécialisée dans les sacs, toujours avec une passion pour le recyclage et les tissus anciens. J’ai interrompu mon stage de fin d’études à Londres afin de participer à un concours à Hong Kong, où je présentais une collection entièrement faite de matériaux recyclés. Ce fut d’ailleurs mon premier contact avec l’Asie. Ensuite, toujours via Esmod, j’ai suivi une formation professionnelle d’un an à Tokyo sans même parler la langue. Au final, ça fait maintenant 7 ans que je vis au Japon. J’adore la nature, que ce soit pour me balader ou la voir sur des tissus de kimono anciens. J’aime aussi me promener en montagne ou à la plage et finir par un bon onsen (source thermale japonaise)!

collection entièrement faite de matériaux recyclés
collection faite de matériaux recyclés

Quel fut ton premier contact avec le Japon ?
Quand j’étais étudiante en mode, j’ai découvert que les kimono étaient confectionnés avec une seule et même pièce de tissu créée sur mesure, et qu’il n’y a donc aucun gaspillage de matière. A l’époque, le concept du vêtement zéro déchet m’intéressait déjà beaucoup. J’aimais beaucoup Issey Miyake et Rei Kawakubo qui sont des stylistes japonais des années 80-90 et ont des concept aussi fort qu’inspirants. Puis sinon enfant j’adorais Sailor Moon mais je n’étais pas consciente que c’était un dessin-animé japonais.

Quand es tu venu au Japon pour la première fois, pour quelle raison et quel souvenir en gardes-tu ?
Comme dit précédemment, je suis venue au Japon pour la première fois en 2014 à Tokyo pour mes études. Dans ma tête j’étais là seulement pour un an donc je me concentrais plutôt sur mon projet. J’ai le souvenir d’une année assez intense, avec beaucoup de travail, tout en essayant de sortir les week end. Vivre à Tokyo c’était magique et fatiguant à la fois, la ville ne dort jamais.
C’est une satisfaction et un enrichissement personnel d’essayer de dépasser ses limites, surtout dans un pays si différent et une langue étrangère. Je n’ai pas beaucoup voyager dans l’archipel donc quand l’occasion s’est présentée j’étais super heureuse de pouvoir prolonger l’aventure !

Le recyclage, une seconde vie pour les tissus japonais

Peux-tu expliquer le concept de Mikan Bags et comment tu en es arrivée là ?
Mikan Bags existe officiellement depuis 2016 et a pour vocation de redonner vie à des tissus anciens, en les transformant en accessoires beaux et fonctionnels. De 2014 a 2016 je m’étais d’abord lancé dans la création de collections de prêt à porter. Au lendemain de la formation que j’ai suivie à Tokyo, j’ai organisé des défilés et des salons pour lancer ma marque. Cependant pour moi qui ai toujours rêvé de faire des pièces uniques, ce système ne me correspondait pas forcément. J’avais fait des études de mode pour me retrouver dans la création mais je réalisais que l’aspect marketing prenait trop le pas sur ce que j’aimais. Je pense que je n’avais pas réalisé le coût réel du lancement d’une marque, pour se faire connaître, fabriquer des prototypes, trouver des investisseurs, etc. De plus, les fabricants que je sollicitais ne cherchaient pas de nouveaux clients et ne souhaitaient pas produire en petites quantités. Donc j’ai voulu me tourner vers quelque chose que je puisse produire moi-même, en petite séries ou en pièces uniques. Comme les sacs m’ont toujours intéressée, j’ai choisi de m’y consacrer exclusivement!

As-tu créé toi-même les design des sacs ?
Oui, je me charge des design, des patronages, du montage, de la couture et de la production. En général je fais 3-4 tests avant de commercialiser un produit. Au lancement de Mikan, je voulais surtout faire des formes compliquées, au design abstrait et unique. Aujourd’hui je préfère les formes plus simples qui mettent plus en valeur les motifs des tissus. Quand je veux faire un nouveau sac je pense d’abord à ce qu’il pourrait contenir puis au volume. Ensuite j’expérimente en créant des formes en 3D, jusqu’à ce que j’arrive à un modèle final qui me plaise.

As-tu plus d’achats ou de commandes sur-mesure ?
Pour le moment, j’ai plus de clients qui achètent des produits finis, mais j’aimerai davantage développer les commandes. De plus, j’évite d’avoir trop de stock afin de ne pas faire de gâchis avec des invendus. Concernant les commandes, j’aime discuter avec les clients afin de créer l’histoire de leur sac selon ce qu’ils souhaitent. J’envoie aussi à l’internationale, principalement aux USA et en Australie où l’artisanat japonais est très apprécié. Avant le Covid, je me rendais deux fois par an à Melbourne pour organiser des ateliers DIY, comme celui auquel tu as participé. Et depuis l’année dernière j’ai une nouvelle clientèle au Japon, que ce soit de jeunes japonais ou des étrangers qui y résident.

Coup de foudre pour les tissus japonais

Qu’est-ce que tu aimes dans le textile et les design japonais ?
Je trouve les kimonos magnifiques. Tout d’abord la qualité des étoffes est incroyable, surtout anciennes. Faites de soie, avec des motifs peints ou brodés à la main. J’aime l’esthétique japonais et la façon de représenter les éléments de la nature sur le textile. Les motifs de kimonos me rappellent souvent la simplicité graphique de l’ukiyo-e (les estampes japonaises). Les motifs sont représentés de façon très simplifiée, presque symbolique. Rien qu’avec une fleur on peut de suite savoir à quelle saison elle fait référence voire quelle histoire elle symbolise. La nature tient une place très importante dans la culture japonaise, pour moi c’est fascinant d’étudier ces motifs. En plus, cela permet d’en apprendre davantage sur la faune et la flore locales.

Comment choisis-tu les obi et les tissus de kimono ?
Avant tout, c’est une question de coup de cœur. Je choisis les motifs et les couleurs qui m’inspirent. Pour les obi, je privilégie ceux qui sont épais ou qui sont faits de fils métalliques. Ceux qui sont brodés sont trop fragiles, de même que certains tissus trop anciens, donc il faut souvent les traiter et faire plusieurs tests pour s’assurer de leur résistance. Concernant les kimono, je les utilise en général pour la doublure des sacs. Parfois j’utilise aussi des tissus à l’aizome (indigo naturel), et plus particulièrement du Kurume Kasuri, un tissu inscrit au patrimoine culturel japonais, produit dans la région de Fukuoka. Les fils sont teints avant d’être tissés, ce qui donne au motif un effet flouté. De plus, la teinture à l’indigo possède beaucoup de propriétés intéressantes comme par exemple d’être un insecticide naturel. Autrefois c’était un tissu populaire produit et porté par les paysans, mais aujourd’hui c’est un tissu plutôt haut de gamme.

Kurume Kasuri tissu teint indigo
Kurume Kasuri, tissu teint indigo

Une styliste en quête du 0 déchet

D’où te vient cette soif du 0 déchet ?
Je pense que ça doit venir de mon père car il a toujours été très bricoleur. Il éprouvait une grande satisfaction à faire les choses soi-même sans acheter ni jeter. Adulte, c’est devenu une question environnementale surtout en réalisant que l’industrie de la mode pousse à la consommation et à constamment acheter du neuf. Et puis le fait de ne pas gaspiller pousse à être créatif et inventif. Étant étudiante, j’allais souvent dans des friperies pour acheter des vieux vêtements que je construisais à mes goûts. Je constatais aussi que la qualité des tissus n’était pas du tout la même qu’il y a 40 ou 50 ans ! La plupart des pièces que je trouvais étaient de superbes soies ou lainages, cousues en France, et incroyablement accessibles à porte-monnaie d’étudiante !

Où te fournis-tu ?
Avant j’achetais surtout dans les marchés aux puces, mais j’ai arrêté car je ne supportais plus de voir comment les kimonos étaient traités. Déposés par terre n’importe comment comme de vulgaires déchets alors que se sont des vêtements de qualité. A présent, je me fournis dans des magasins de kimono de seconde main car les vendeurs connaissent le prestige du vêtement et son histoire. Ils en prennent soin et ont la valeur de la transmission, avec toujours une petite information ou une anecdote à partager. Ce sont des commerces importants qu’il faut soutenir.

Les obi pour la couture
Quelques obi prêt pour une nouvelle vie

Bien sur je comprends tout à fait. Est-ce que ces vendeurs savent ce que tu fais avec les pièces que tu leur achetés?
Oui bien sûr, ils sont contents et trouvent ça même super. Je sors toujours avec mes sacs du coup ils voient ce que j’en fait. Au début on m’avait dit que couper des kimono c’était presque un sacrilège pour les locaux alors que pas du tout car ce n’est pas un objet sacré. Puis je pense qu’à défaut de les porter, les Japonais préfèrent donner une seconde vie à ces tissus de valeur via le recyclage. Avant, les kimono se transmettaient de génération en génération, mais de nos jours les Japonais n’en portent plus autant. Les occasions sont rares et les kimonos s’abîment s’ils restent au placard, alors beaucoup de gens se séparent souvent de leurs kimonos familiaux. Certains clients m’ont même déjà demandé d’utiliser un obi ou kimono hérité pour le recycler en leur fabriquant un sac ou un accessoire afin de pouvoir l’utiliser autrement tout en le gardant dans la famille !

Le désir de transmettre

J’ai donc participé à un de tes ateliers à Kyoto, mais est-ce que tu en fais dans d’autres villes ?
Avant le Covid j’en faisais principalement à Kyoto et à Melbourne, en y restant un mois à chaque fois. L’an dernier j’ai eu la chance d’en faire un à Fukuoka, mais celui auquel tu as assisté est la première série de workshops que j’organisais depuis longtemps avec le Covid ! Mon souvenir le plus fort était, remonte à deux ans, une série d’ateliers au temple bouddhiste Horenji, pendant trois mois. Ce temple se situe à Kyoto vers Tambaguchi, et la famille qui s’en occupe invite souvent des artistes pour faire des performances ou des événements. A cette époque les ateliers étaient promus sur AirBnB et les visiteurs étaient toujours émerveillés de venir participer à un atelier de couture dans un lieu si unique ! J’aimerai faire plus de workshops, comme par exemple à Tokyo, ou à l’étranger.

atelier couture
atelier couture

Est-ce que tu utilises les mêmes patron pour toi et pour les ateliers ?
Cela dépend du modèle. Pour le sac origami par exemple, c’est le même patron pour les ateliers, pour les kits DIY que je vends en ligne ainsi que les sacs qui sont en vente finis (sauf que ces derniers sont faits dans des tissus bien plus épais). Par contre, pour le sac banane, il y a deux patrons différents, le mien et celui pour les ateliers/kits. Mon patron comporte des tissus plus épais et est fait pour être cousu sur des machines industrielles. Celui pour les ateliers et les kits est adapté aux débutants, il a des coutures droites et est destiné aux petites machines à coudre. En général, je fais tester ces patrons à des personnes pour avoir leur ressenti sur la difficulté du patron.

.

Pour retrouver Clémentine 
Son instagram - site Mikan Bags - son Facebook

Encore merci d’avoir partager tout cela avec nous. C’était vraiment intéressant de connaitre ton parcours que je trouve incroyable. Vu ton succès, le recyclage de tissus japonais a encore de beaux jours devant lui. Je suis contente que tu aies pu réaliser ce rêve et que cette initiative plaise tant. J’ai hâte de voir tes prochaines créations et je te souhaite une très bonne continuation !

Vous pourriez également aimer...

10 commentaires

  1. Très belle idée, je vais allée voir son instagram pour voir ces créations, merci pour la découverte 😊😊

  2. Belle découverte ! Merci pour cette présentation !

  3. Un parcours très intéressant. Cela fait plaisir de lire ce type de réussite à l’étranger. L’idée est excellente.

  4. Charlotte a dit :

    Ça donne envie d’avoir son petit sac ou sa petite banane en kimono ! 😊 et le surnom est original et bien choisi ^^

  5. Coralie a dit :

    Super intéressant

    J’aimerais bien participer à un atelier 🥺 coudre des choses me manque beaucoup 😭♥️

  6. Elsa a dit :

    Super article! Bravo à toi Eva, j’aimerais bien un jour participer à un atelier Mikan à Horenji si ça se refait.

    1. Merci ! J’espere que tu auras l’occasion de participer à un de ses ateliers 🙂

  7. セシリアCéci a dit :

    Merci pour cette découverte, j’adore le jeu de mot avec Mikan, c’est adorable 🙂 Ça m’épate toujours de découvrir tant de profils d’expatriés, arrivés au Japon sans nécessairement y planifier leur vie, et qui finalement semblent y trouver quelque chose qui les pousse à rester. Un beau projet comme celui-ci par exemple. Bravo Mikan pour ton parcours 🙂

    1. J’aime beaucoup cette catégorie de Passion Japon car elle prouve bien que la passion peut amener à faire un travail qu’on aime.

  8. yoshiko mabuchi a dit :

    Bonjour, je suis curieuse et intéressée par vos sacs et aimerais bien voir en « réels ». Est-ce possible de visiter votre magasin ou atelier?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

CAPTCHA ImageChange Image