le chapelet de prière
En société Mon quotidien japonais

Les funérailles japonaises

La vie a fait que récemment j’ai vécu mes premières funérailles japonaises. Cet événement tant redouté qui touche tout le monde. Les obsèques au Japon, c’est très différents de ce qu’on fait en France. J’avais déjà eu plusieurs échos, et j’appréhendais assez de devoir y participer. Dormir et manger à coté du corps, manipuler les os, une pratique un peu glauque au premier abord, mais finalement, pas tant que ça.
Ce matin de juillet, je me suis réveillée, j’ai lu mes messages et appris que Obatchan nous avait quitté dans la nuit. En raison de son âge, nous nous y attendions tous. Elle avait 99 ans. Bel âge n’est-ce pas ? Obatchan, je la connaissais peu, mais je l’aimais bien. Petite, frêle, le visage pale, les cheveux blancs comme neige, son sourire, sa petite voix, ses yeux qui pétillaient quand on lui rendait visite, sa bienveillance et les gâteaux qu’elle voulait toujours nous donner.

"Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas." 
C'est ce que m'avait dit le frère aîné de mon beau-père. 
La situation lui faisant se remémorer ces premiers mots de l'Etranger qu'il avait lu 
des années auparavant.

Des obsèques bouddhistes

Cet après-midi là, vêtus de nos costumes noirs de cérémonies nous nous sommes rendus au funérarium. A notre arrivée dans la salle de notre famille, les embaumeurs étaient en train de déposer Obatchan dans son cercueil. Vêtue d’un kimono blanc, maquillée, le visage reposé, elle était jolie. C’était la première fois que je voyais un mort, j’appréhendais beaucoup, mais finalement je fus rassurée de retrouver un visage familier. C’est dans cette même pièce, sous les yeux de sa famille, qu’elle avait été préparée. En effet, ici la préparation du défunt se fait devant les proches. Le corps, légèrement caché par un drap blanc, est lavé, habillé et maquillé avec le plus grand soin. Dans son cercueil de bois blanc, elle y reposait entourée de ses fleurs préférées, de certaines peintures qu’elle avait fait et de son goshuin-cho, son carnet de pèlerin. Un magnifique tissu de kimono couvrait le cercueil fermé. Un autel fut dressé devant elle. Un bol de riz, des oranges, de l’encens, deux bougies et une photo d’elle le décoraient. Cette photo, je la connaissais. Elle avait été prise le jour de mon mariage, Obatchan avait demandé à notre photographe de lui faire cette faveur.

Veiller le défunt

Ainsi, nous avons passé l’après-midi avec elle, à discuter et à entendre les enfants rigoler. Le prêtre du temple où elle demeurera est venu faire deux cérémonies de prières. Les mains jointes et entourées d’un chapelet bouddhiste, nous récitions les prières que le prête disait et nous nous passions une boite d’encens où nous en prenions une pincée en la montant au dessus de notre tête, puis nous la redéposions dedans. Le soir, nous avons dîné dans la pièce voisine. Puis mon beau-père et son frère passèrent une dernière nuit auprès de leur mère. Otsuya, consiste à veiller le défunt et à s’assurer qu’il trouve le chemin du paradis en suivant la fumée de l’encens. Il faut donc faire attention à ce que le bâtonnet ne s’éteigne pas.

Le jour de la crémation

Le lendemain, nous nous sommes tous retrouvés auprès de Obatchan pour lui dire un dernier adieu et déposer à ses côtés les lettres que tout le monde lui avait écrit. Le corbillard l’attendait pour l’emmener au crématorium. Une fois le hall traversé, c’est une dizaine de four alignés les uns à côté des autres qui nous accueillent. Chacun portait un nom de fleur, pour Obatchan ce sera le sakura. Le cercueil y entre et nous le retrouvâmes deux heures plus. Je crois que je n’oublierai jamais l’odeur qui émanait du crématorium, je n’avais jamais rien ressenti de tel. Il ne restait que quelques os. Chacun son tour, munis de longues baguettes, nous avons attrapé les os pour les disposer dans une urne. Un procédé qui se fait des pieds vers la tête. La personne en charge nous expliqua de quels os il s’agissait. De retour au funérarium, nous avons déposé l’urne sur l’autel. Le prêtre revint pour faire deux cérémonies, puis ce fut terminé. Cependant ce n’est qu’en septembre que Obatchan rejoignit sa destination finale, le temple où elle demeura auprès de son mari qui l’avait précédé des années plus tôt. Vu les circonstances, cette année ma belle-famille n’enverra ni cartes du nouvel an, les nengajo, ni n’ira au temple le 1er janvier pour la première visite de l’année. Puis afin de ne pas recevoir de nengajo, nous avons envoyé des cartes pour annoncer avoir eu un décès dans l’année.

***

J’appréhendais beaucoup les funérailles japonaises car j’avais entendu nombre de choses à son sujet. Ces deux jours furent très longs et éprouvant mentalement, mais finalement je l’ai bien vécu. Quoique le fait de ne pas être très proche ait du aider. Cependant je trouve ça même bien d’accompagner le défunt jusqu’au bout et de pouvoir prendre le temps de lui dire adieu, comme si cela permettait aussi de banaliser la mort, d’en avoir moins peur. C’est assez ironique pour moi de dire ça car depuis petite j’en ai toujours eu peur et y penser me donne des angoisses, plus que la mort, je pense surtout avoir peur de l’oubli et de ceux et ce que je laisse derrière moi. Mais bon, la vie est ainsi faite et elle ne fait qu’un avec la mort.

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0 commentaire

  1. Article très intéressant ; j’ai appris, malgré moi, la manipulation des os du défunt lors des funérailles au Japon. Lors d’un repas avec mon copain j’avais voulu attraper un morceau de poulet ou quoi, de baguettes à baguettes et il était devenu très mal à l’aise. Sur le coup il ne m’a rien dit, mais c’est revenu plus tard dans la conversation…
    On parle rarement des traditions funéraires mais finalement elles ont un impact dans la vie quotidienne ; surtout quand on en a pas connaissance ^^

    1. Oui c’est comme les baguettes plantées dans le bol de riz qui rappelle aussi les funérailles. Dans ce genre de situation c’est important qu’il t’en parle au risque que cela se reproduise et avec d’autres Japonais ça peut mal passer :/

  2. Le cérémonial est très codifié. J’avais vu dans un reportage sur Arte qu’il ne fallait pas planter les baguettes dans un bol car cela rappelait l’encens que l’on brûle durant les funérailles…
    En tout cas, je te remercie d’avoir partagé avec nous cet épisode de votre vie. Obatchan devait être une femme merveilleuse. 😀

  3. Livia a dit :

    Merci pour cet article. J’ai rencontré ces rites plusieurs funéraires dans la littérature et le cinéma japonais, chez Kawabata, chez Kikou Yamata, dans le film « Departures » (おくりび)… A chaque fois des description très intimes, attentionnées, respectueuses. Ton article s’y intègre bien…

  4. tetoy a dit :

    C’est peut-être bête ce que je vais dire mais cette manière est, je trouve, plus douce qu’en France.
    Ca permet de prendre « le temps » de dire au revoir.
    Merci pour ce partage qui n’est pas forcément simple à faire.

    1. Ce n’est la bête du tout, je partage aussi cette opinion. Autrefois, en France on faisait aussi des veillés et le corps restait à la maison quelques jours. Je me demande pourquoi cela ne se fait plus, pas peur et tabou ?

  5. Maye a dit :

    Ça se fait encore, je me souviens avoir accompagnée ma grand-mère maternelle rendre hommage à mon oncle fraîchement décédé, reposant 3 jours dans le salon de ma grand-mère maternelle. Il me semble d’ailleurs que pour mon grand-père ce fut le cas aussi, mais j’ai été si traumatisée de voir mon oncle a l’époque que je refuse aujourd’hui de voir des défunts. Ça dépends des coutumes des familles je pense, c’est quelque chose de très traditionnel et en France ça veut dire vieillot ^^’
    Merci de partager ça sur ton blog !

  6. Très joli article. Je suis désolée pour ta famille.
    J’aime beaucoup l’ambiance qu’on ressent à la lecture, ça avait l’air d’être calme et apaisé. En plus j’en ai appris un peu plus, je connaissais les principes liés aux baguettes mais pas à la veillée par exemple ^^

    1. Merci ! C’est un article que j’avais voulu écrire à chaud afin de bien retranscrire ce que j’avais ressenti à ce moment-là sans pour autant être trop intrusive dans ce que nous avions vécu ces jours-là.

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